Route calme allant aux Killing Fields Scène pastorale Maison traditionnelle Jeunes femmes cambodgiennes de 15-20 ans Site de fosses communes Site of a mass grave Pagode en guise de mémorial A la périphérie de Phnom Penh
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Je me lève de bonne heure et me rends à pied au marché central afin d'avancer diverses petites choses que j'ai à régler. Traverser la rue demeure un exercice en soi, dont le fait que j'y excèle ne m'assurera jamais une parfaite sécurité pour autant : il faut avancer tout droit en sachant où l'on va et sans hésiter. J'applique cette même détermination pour éviter tous les chauffeurs de moto qui me proposent sans cesse leur service. Le grand marché est une surprenante construction en béton, réalisée par les Français. J'y traverse la grande halle avant de chercher le terminal de bus, mais aucun d'entre eux ne va à Siem Reap, la ville servant de base pour les visites des temples d'Angkor. Pour mieux profiter de ma journée, je vais donc louer une moto et remets à plus tard les petits tracas d'organisation. J'ai décidé de me rendre à une quinzaine de kilomètres au sud de la ville pour aller visiter les fameux Killing Fields, ces champs où ont été retrouvés des milliers de cadavres des victimes des Khmers Rouges. Je m'insère dans la circulation active de cette matinée, et me faufile à coups de zigzags et d'accélérations, entre les motos majoritaires, les gros camions, les cyclistes et quelques petits véhicules ambulants. Dans la banlieue de la capitale, la route est déjà en piteux état, mélange de glaise, cailloux, briques, ciment parfois, flaques boueuses et étendues de terre compacte. Quand un gros camion tourne à droite, la route s'ouvre devant moi sur un chemin de terre brune rougeâtre à l'ombre de grands arbres et au calme. Le plaisir de la foule urbaine cède donc la place à celui de la campagne - j'aperçois des zébus dans les rizières asséchées, des palmiers filiformes, et quelques groupes d'arbres. Pour autant, je sais combien cela va contraster avec l'horreur du Choeung Ek Genocide Center. Les nombreuses libellules et papillons, le chant des oiseaux recouvert par le bruit strident des cigales, rien de ce havre campagnard ne peut couvrir l'évidence d'une des périodes les plus sombres de l'histoire moderne. Dans les mares grouillant de grenouilles où viennent boire les oiseaux gisaient des centaines de corps, souvent torturés puis battus à mort. Les fosses communes contenaient parfois uniquement des têtes, les corps nus étant enterrés plus loin. 8895 cadavres ont été exhumés - des prisonniers du centre de détention S-21, le fameux Tuol Sleng. Sur un arbre, je lis "Chankiri tree against which executioners beat children" (arbre contre lequel les bourreaux battaient les enfants) et à côté sous une paillote : "mass grave of more than 100 victims children & women whose majority were naked" (fosse commune de plus de 100 victimes, femmes et enfants, dont la plupart étaient nus). Au milieu du site se dresse une grande pagode commémorative qui constitue une tour remplie des crânes regroupés par tranches d'âge. Mes émotions sont mortes en moi tandis que je parcours silencieusement cet endroit sans y chercher quelque explication, en simple observateur. En revenant en ville, je m'arrête sur un pont pour photographier le contraste entre la verdure et les bidonvilles. La circulation est toujours chaotique et les routes irrégulières. Je m'arrête à une pâtisserie plutôt bonne puis vais au musée national. Les collections sont surtout d'Angkor et réputées mais je n'accroche pas tellement - c'est l'accumulation et juste des descriptions techniques. Le bâtiment est pourtant plaisant avec son jardin dans la cour intérieure, au milieu duquel se trouve la statue du Bouddha en leper king provenant d'Angkor Thom. Je récupère ma moto et rentre à l'hôtel me rafraîchir. Je vais ensuite à la recherche d'un livre, d'argent et d'infos pour se rendre à Siem Reap. L'après-midi me sert ainsi de transition en attendant de retrouver Tanguy. Je trouve mon livre au marché central puis pars déjeuner dans le sud dans un resto khmer assez rempli. Le poulet y est excellent malgré les os, et ce plat typique dans un endroit non touristique me permet d'apprécier la ville à son propre rythme. Je me désaltère sans cesse avec une grande théière, des glaçons et du sucre, et resterais volontiers plus longtemps, à l'invite de voir le foot, mais je retourne en ville finir mes préparatifs et acheter des billets de bateau pour Siem Reap. Une fois cela fait, je me balade un peu à moto et passe devant l'ambassade de France. De l'extérieur, ce gros bloc blanc ne laisse rien percer du drame qui s'y est joué lors de la prise de la ville par les Khmers Rouges le 17 avril 1975 : des centaines de familles s'y étaient réfugiées, mais les Cambodgiens ont dû être livrés aux autorités dans l'intérêt de la sécurité des autres - peu d'entre eux ont été revus. Je fais un crochet près du lac dans les ruelles, et à proximité d'une mosquée récente. Plus tard, en roulant sur un grand boulevard, j'aperçois des policiers sur la gauche mais décide tout de même de tourner à gauche même si je sais que c'est pour eux une excuse pour arrêter les étrangers. Ca ne rate pas - je me fais siffler par l'un d'eux qui s'achemine vers le côté droit de la route. Impassible, je continue mon chemin en faisant mine de rien - je ne suis tout de même pas trop fier et espère qu'ils ne me suivront pas, tout en étant content d'avoir été ferme en suivant le conseil du loueur de motos. De retour à l'hôtel, je suis encore enveloppé dans l'histoire violente de la région avec un film sur la guerre Vietnam avec Mel Gibson pendant que je finis la lecture de mes guides. Deux gros cafards et une invasion de petites fourmis dans la douche sont par ailleurs mes charmants colocataires de l'après-midi, Asie oblige. La soirée s'étiole comme la veille entre restaurant, circulation en ville et hôtel, jusqu'à ce que Tanguy arrive en compagnie de son amie Laetitia avec laquelle il revient d'un séjour de quelques jours en Thaïlande. Dynamique et volontaire, elle vient de finir plusieurs mois de volontariat auprès d'ONGs de la ville à la suite de ses études. La conversation dans le calme d'un charmant restaurant thaïlandais est dense, mêlant avis sur la région et anecdotes de voyage. Quand je rentre dans la nuit fraîche en empruntant les grandes avenues, je vis un dernier moment de joie d'être à Phnom Penh, y croyant toujours avec peine. Le lendemain, les temples d'Angkor seront à ma portée.
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