Des photos des prisonniers étaient prises systématiquement Des familles entières étaient emprisonnées Sans doute des jeunes Khmer Rouges ignorant ce qui les attend Torture Des centaines de portraits sont alignés comme de l'art abstrait Photo déchirante Crânes trouvés dans les environs
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Dans sa folie destructrice, le régime des Khmers Rouges n'en avait pas moins de la méthode et de l'organisation, nécessaires pour orchestrer une purge d'une telle ampleur. Chaque victime était photographiée, avant ou après la torture, avant ou après que le prisonnier comprenne pourquoi il se trouvait là, avant que qui que ce soit sache que presque personne ne ressortirait vivant de Tuol Sleng. Dans chaque regard on peut lire ce que la personne sait et ignore - on se préserve bien de deviner, car il faudrait alors se projeter dans l'esprit de la victime, et s'exposer alors à la violence de ce qui lui a été infligé. Pourtant on sent qu'on devrait un regard à chacune d'entre elles, par solidarité humaine. L'espace d'un instant, en photographiant certains portraits, je me retrouve comme à la place des Khmers Rouges, en abstraction du temps qui s'est écoulé depuis. Le plastique a été déchiré devant l'oeil d'une jeune fille et c'est elle qui me regarde, tout comme elle a regardé son photographe de l'époque, à moins que je ne lui redonne vie par un effet miroir en emportant ce témoignage de souffrance. Après des photos de femmes torturées, d'enfants, de jeunes qui semblent insouçiants voire confiants, je parviens dans une salle où les portraits sont plus petits et regroupés. La pièce abrite tellement de photos que ça en devient presque de l'art abstrait, si ce n'est que chaque case héberge le visage de mort d'un être humain. Le silence règne, on mesure ses pas. Je ne pense pas beaucoup, j'absorbe pour pouvoir assimiler plus tard, si jamais je le peux. Ce soir, c'est la coupe du monde de football et les Cambodgiens parient - le chauffeur de moto qui m'attend dehors me donne ses pronostics. Dans la dernière pièce figuraient quelques-uns uns des crânes retrouvés dans les jardins voisins. Je lui fais signe que nous pouvons retourner en ville.
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